En queue de têtard - Sylvain Onckelet

19/09/2009 16:49

 

Concours : concours de nouvelles "Ecrire pour Chatel" (Chatellaillon-Plage, Charente-Maritime) 2009 

 

EN QUEUE DE TÊTARD...

   Je me suis assis et j’ai pleuré. La légende raconte que tout ce qui tombe dans les eaux de cette rivière, les feuilles, les insectes, les plumes des oiseaux, tout se transforme en pierres de son lit. Ah ! Que ne donnerais-je pas pour pouvoir redonner à Pierre sa forme initiale ! Papa  va encore me battre! Et plus fort cette fois-ci ! Quel idiot! Je n’aurais pas dû le pousser ! Que va-t-il m’arriver ?

 La nuit est déjà là, la lune éclaire faiblement la roche grossière sortant de l’eau, cherchant une aide qui n’arrivera jamais. J’ai pétrifié mon frère. Que faire !? Je suis foutu... Les larmes redoublent sur mes joues. J’ai du mal à réfléchir…

 Dans ses situations là, il ne reste plus qu’à prier…

 Mais oui ! Prier ! Père Tristan trouverait certainement une solution ! C’est un homme d’église, il pourra certainement me faire un petit miracle ! Je me relève, sèche mes larmes et court à travers les buissons à en perdre haleine.

 Papa nous avait demandé de chercher des fagots pour l’hiver et nous avait dit de revenir avant la tombée de la nuit. Mais maintenant, le crépuscule est déjà mourant. Mon père nous battra, c’est certain, bien que la nuit soit peu avancée…

    Il faudra inventer une excuse, pour atténuer la punition. Je pourrais dire par exemple que nous avons entendu au loin le hurlement d’un loup à piège, ou que nous avons entendu les chants grivois d’Eugène le braconnier, ou braconnard comme on l’appelle au village, qui n’hésite pas à violenter les moutards qu’il croise sur son chemin lorsqu’il a trop bu, ou encore que nous avons vu des traces de mante pas très religieuse, le plus redoutable prédateur de la forêt, un insecte de deux mètres de haut dévorant, arrachant, écartelant, égorgeant, éventrant, zigouillant tout ce qu’elle peut se mettre sous la dent (enfin la mandibule). Il faut que je me dépêche d’arriver le plus vite au village, histoire d’empêcher que mon Histoire ne devienne réalité...

 Soudain, j’entends un chant. Mélodieux, agréable. Et je la vois, derrière une branche de chêne. Une sorcière. Pas de doute possible. Toute de rouge vêtue. Du lierre autour de son chapeau pointu. Jolie, à première vue. A la seconde aussi. Elle semble avoir moins de vingt ans. Un teint incroyablement pâle fait ressortir ses lèvres d’un rouge sang. Elle est assise sur une souche et ses pieds trempent dans un seau de fer. D’une serviette blanche, elle sèche un de ses pieds puis le repose dans le seau. Et elle recommence. Infiniment. Soudain elle se met à chanter en fixant le fond du seau :

« Têtard, t’es tu ôté de la tête

La tentante idée de t’en aller?

Têtard, me tuer tu as tenté

Mais c’est ta voix qui s’est tue.

Têtu Têtard, Teigneux Têtard, Triste Têtard,

Profite de ton nouveau corps, Têtard Tristan ! »

-« Tristan ?! C’est père Tristan dans ce seau ?! Mais j’ai besoin de lui !! »

Zut…  Je me suis trahi ! Emporté par mes émotions… Comme quand j’ai poussé Pierre sous le coup de la colère dans la rivière des larmes. La sorcière paraît surprise. Elle me dit :

- « Tiens donc, tu m’espionnes. Tu dois être Claus, le fils du sabotier. Pourquoi as-tu besoin de cette larve ? 

- Mon frère est tombé dans la rivière des larmes ! Et si je ne demande pas à Père Tristan, il est perdu à jamais ! ».

Les larmes me montent aux yeux, encore. Que va me faire cette folle ?

-« Le plus simple serait de lui demander toi-même. Mais il ne peut pas pour le moment. Ne t’inquiète pas pour lui, il doit être heureux dans sa nouvelle carcasse. Je le lacherai dans le marais un peu plus tard. De toute manière, c’était lui ou moi. Il m’avait vu converser avec le diable et allait probablement me faire cramer.

-« Mais… Mais qu’est-ce que je fais moi ? Et mon frère ? »

-« Je pense avoir la solution à ton problème, mais en échange, tu me rendras un petit service. Et crois moi, je vais t’en faire baver. »

-« Tout ce que vous voudrez, mais, par pitié, dites moi tout ! »

-« Tu vois ce têtard, et bien c’est un de ses semblables qui est la cause de ton malheur. Une grenouille énorme, une créature appelée Gama Lacrymala. Cette créature vit dans une grotte, située non loin de la source. Un jour, lors d’un tremblement de terre, une stalactite est tombée, transperçant sa patte, et la clouant au sol. Depuis, la pauvre bête pleure sans cesse, tellement fort qu’un petit ruisseau s’est créé, et qui finalement s’est déversé dans la rivière. Ce sont ses larmes qui changent les êtres, les objets, les plantes en cailloux. Et ce sont elles qui contaminent la rivière. Si tu enlèves ce « clou » dans sa patte, Gama Lacrymala cessera de pleurer, et ton frère sera sauvé.  Pour libérer le monstre, j’ai ce qu’il te faut ; voici un sac contenant de la poudre d’orient. A consumer avec modération. Et tiens, voilà une torche pour faire exploser tout ça. » 

Elle attrape  une brindille trouvée à terre et l’enflamme d’un regard, puis me tend le flambeau et l’imposant sac de cuir.

-« Me... merci madame ! J’y vais de suite ! »

-« Une petite minute, tu oublies que tu me dois quelque chose. »

-« Ah, qu’est ce que je dois faire ? »

-« Je t’ai dit que tu aller en baver. Et c’est vrai. Si tu savais comme la bave de gosse est difficile à obtenir… »

J’étais trop surpris pour répondre. La sorcière vida le seau, mit la larve frétillante dans sa main et l’avala.

-« Il ne faudra pas que j’oublie de te vomir, toi, dit-elle, voilà pour toi, un seau suffira.

Et je bave, bave, bave. Le flambeau de la sorcière est bientôt indispensable pour éviter de baver à côté du récipient, le soir venant…

-« N’hésite pas à revenir me voir jeune homme ! » me dit la sorcière quand je m’en vais. J’ai la bouche trop sèche pour l’insulter, lui répondre ou simplement lui dire au revoir.

 Je longe la rivière, et aperçoit  bientôt un court d’eau, large comme deux pieds et profond de deux pouces, quittant la forêt pour se jeter dans la rivière. Le ruisseau du diable…

 Je remonte le ruisseau par la rive droite, en éclairant bien le chemin et en prenant milles précaution pour ne pas tomber à l’eau. La grotte est devant moi… Le moment est venu d’y entrer.

   J’entends des sanglots, ponctués de reniflements venant du fond de la caverne. Soudain, deux lumières scintillent dans la nuit, grosses comme deux poings. Puis une voix rocailleuse se fait entendre :

-« Quoi ? Snif… Coa ? Snif… Que me veux-tu ? »

 Gama Lacrymala a la taille d’un veau. C’est une grenouille énorme, dont la peau est couverte de toute sorte de pierres, telle une statue composée de minerais hétéroclites. Je lui explique rapidement ce que je veux faire, comment et pourquoi le faire. Le plus difficile est de parler plus fort que ses pleurs…

-« Fais vite, petit homme…»

 Je tire une minuscule pincée de la poudre du sac de cuir et la dépose sur le pieu. Je m’éloigne et lance une brindille enflammée sur la petite ligne d’explosif. Il se produit une détonation incroyable. Peu à peu la fumée se dissipe.

  Sa patte libérée, la grenouille coasse de joie.

-« Merci, merci ! » fait Gama.  Et désolée, désolée ! 

- Pourquoi es-tu désolée ? Ce n’est pas ta faute… 

- Je sais, mais j’ai faim. Je n’ai rien mangé depuis une dizaine d’années! Désolée moucheron ! »

    La grenouille projette sa langue dans ma direction. J’esquive, en sautant sur le côté. L’énorme langue rouge , elle, continue sa course sur le sac d’explosifs. Et, réflexe d’amphibien, le ramène dans son énorme gueule. Ni une, ni deux, je lance le flambeau dans sa direction. Le bruit est assourdissant et la lumière aveuglante. Je reçois un œil sur la tête, un morceau d’estomac dans la poitrine, sept bonnes livres d’autres entrailles assez difficilement identifiables dans les jambes. Et aussi trois bons litres de sang. Le vide se fait dans la grotte. La fumée se dissipe.

 C’est donc comme cela que la fontaine se tarira à tout jamais. .. Je rejoins l’entrée de la grotte, couvert de sang, quand j’entends des pleurs derrière moi.

 A la lumière du jour, je vois un têtard –encore !-, à la peau dorée. Il a la taille d’un lapereau et semble doté d’émotions ; il pleure la mort de sa mère. Je m’en vais, peu fier, laissant la bête faire son deuil.

 Après un quart d’heures passé à courir dans la forêt, avec les mocassins qui font floc-floc à cause du sang, je retrouve mon frère. Dans la même position. Inanimé. Comment se fait-il que...

 Pierre, de morceau de pierre, est devenu statue d’or. Je m’effondre. J’ai remplacé un problème par un autre.  Mon père vient à mes cotés.

 

   Nous retournâmes à la chaumière, mon père et moi portant Pierre. Etrangement, mon père ne se mit pas en colère. Il semblait étrangement satisfait, et refusa d’aller tuer le fils de Lacrymala pour sauver Pierre. Il m’envoya me coucher.

 Le lendemain, Pierre disparut. Et ça, ça n’affola pas non plus papa, étrangement.

Le surlendemain, nous devînmes riches, papa acheta des terres et des lettres de noblesses pour notre famille.

La semaine d’après, nous redevînmes pauvres. La rivière qui transformait tout en or avait dévalué la monnaie du pays. Une révolution éclata à cette occasion. Les nobles en perdirent la tête… Papa se fit arrêter, pendant que moi je m’enfuyais dans la forêt.

 

 

 

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